Fin de Chantier

-La Gare aux Nougats- C'est le matin, peut-être jeudi mais ça n'a pas d'importance... Je devais aller bosser sur mon chantier, ma baraque... Je sais plus où j'en suis, ça doit être avril, il fait beau ce printemps 86... Je suis passé chez ma soeur pour dire bonjour et une histoire de vélo... Jean-Marc, son mec, m'ouvre la porte et me dit qu'elle est partie pour Paris ce matin de bonne heure à cause de notre père pas flambant... -Je comprends pas- je dis, y me répond que j'aurais dû et me voilà en train de prendre un billet Paname en première, y'a plus de seconde, Tgv oblige, cavalcade pour ramener la bagnole à ma cop', me changer et lui dire que c'est la merde, que c'est pas possible de pas pouvoir se parler des fois et que je me dépêche sinon je rate le seul train qui passe avant un silence trop grand déjà c'est beaucoup!...

TGV confort 1ère classe, de la place pour les jambes, la clim' fonctionne, le calme règne, moyenne d'âge... carte vermeil... Je décompresse... Je cherche pourquoi elle m'a pas parlé ma soeur, pourquoi elle est pas venue me voir moi au lieu de me faire transmettre un bulletin de santé humanisé par Jean-Marc qui m'a pas du tout alarmé... Il paraît que c'est grave pour mon père, que c'est la tête, moi je dis c'est bien on l'opère et ça marche ou ça dit pourquoi... Mon père ça fait dix ans qu'il a toujours un pet de travers, alors ou y vend ou y meurt, la maison y vend, et je me dis merde! Je veux plus jouer ce jeu de famille et je réalise que Georgio le fils maudit c'est moi là dans ce train et je vais voir mon père et ça y est! Je me suis eu tout seul comme un grand! "Il va mourir le Pa-pa-a-a"... Air connu...

Il aurait pas pu la vendre sa baraque ce vieux con je me dis, au moins il nous aurait pas fait chier avec et ils en aurait peut-être un peu profité eux... Trop tard, c'est plus le débat, c'est clinique, c'est chronique, c'est tumeur, c'est opérable, c'est branle-bas dans la caboche lui-même putain de vieille ganache qu'il est mon père! Et ma soeur!... C'est bien sa fille! Et moi je suis pas son fils peut-être? Sûrement que si, y'a des chances... moi j'ai pris le côté manuel, j'artisane en tous genre, en ce moment c'est bâtiment, je construis, enfin je retape une ruine ardéchoise comme un brave petit banlieusard émigré au nord du sud de la France que je suis, je retape...

Putain ma soeur c'est même pas l'heure ni le lieu, faut aller beaucoup plus loin en arrière que j'y vois déjà plus clair, c'est la goutte qui me déborde l'oeil je peux pas tout contenir... Paris... J'arrive à l'hosto... Personne! Ni père ni soeur ni rien!... Ils sont partis manger au restau quelque part avec la copine anesthésiste à ma soeur... Pas là quoi... De quoi j'ai l'air? D'un con j'ai l'air! Et la musique en prime! Je suis un con deux fois et je me pose des questions depuis 4 heures que ça faisait lurette et belle que je voulais plus m'en poser des questions, j'avais la solution Béton majuscule alors plus de questions! Les questions j'avais fait la grève des questions. Les questions ça rassure pas les questions, les cailloux si, même si y sont durs et lourds et noirs, même si ça écorche les mains les guibolles et les pieds si tu les laisses dessous...

Les cailloux et le béton c'est solide, même si ça ronge la peau le béton, et les cailloux ça va avec les choux, à la campagne ça pousse pareil... enfin dans cette campagne là... D'ailleurs c'est magnifique la campagne et puis ça sent, c'est plein d'odeurs quand t'as pas le nez bouché par le goudron ou brûlé par la nicotine, et puis c'est plein de paysages la campagne, faut juste pas s'arrêter trop longtemps sinon t'as l'horizon qui se ferme (eh oui!), la visière sur les yeux et les chaussures en plomb... Faut pas aller trop vite non plus sans ça tu vois rien tu vois?...

Bon en tous cas je suis à Paris, je suis venu pour parler à ma soeur, la choper qu'on cause un peu... moi je l'aime ma soeur, normal, et on cause plus, on se voit, elle boulot moi chantier, elle la ville moi la campagne... 20kms pas plus ni moins, si 17 pour être exact... La dernière fois j'ai fait une fête pour mon annuité nouvelle... elle s'est tirée, elle a pas supporté de me voir danser avec mon frère... C'est pas de bol, déjà pour que mon frère vienne ça avait été compliqué!... Arrivé à ce stade moi j'avais décroché... et puis c'était ma fête merde! Une fois...

Moi je sais pas, depuis le début de l'année j'ai que des merdes et des emmerdes, j'arrête pas de déménager à cause de coups plus foireux les uns que les autres à cause de... ma bicoque!... Ça devient l'Arlésienne! J'en parle toujours elle est jamais finie et pourtant c'est petit, c'est pas grand, j'avais fait gaffe au départ à pas me lancer dans le mégalo... Bon ma copine m'a prêté du fric pour que je puisse finir, j'ai tous les matériaux alors avanti!... Ça traîne quand même, j'ai fatigue... Je sais plus trop pour quoi je la fais cette baraque mais tant pis, j'essaye d'être pas trop con... J'essaye... Alors on peut venir me parler, surtout ma soeur...

Personne... Je pousse ma zone pas risienne sur les boulevards, non pas les grands, de l'autre côté en redescendant la raie publique et je finis par savoir... J'attends... je vois mon père, je le bise et via, je vais voir ma soeur qu'a déjà filé, je la trouve après multiples péripéties et carte téléphonique à 120 unités! Y'avait pas moins! Pas une cabine à pièce sur la vingtaine présente... Enfoirés de PTT!... Enfin on parle ma soeur et moi... de quoi?... rien... si mon père bien sûr, le notre pardon, la tumeur la maman l'hosto, l'Annemarie-sympa-super-qui-s'occupe-de-son-tonton-Pop, le boulot la fatigue le mal au coeur... -"Et toi ça va?"- Moi? Ça va ça va... bon bah je vais reprendre le train... -"Bah oui tu reprends le train"-...

Je reprends le train, soleil d'Austerlitz à la gare de Lyon, pas de réservation évidemment... Cette fois je fais pas les premières, il paraît qu'on peut s'arranger... Je suis pas tout seul à vouloir m'arranger! Mais ça va les Belges font des grèves aussi des fois alors y'a des places de libre cette fois... pas sept, une... Je m'assois... Derrière y'a une fille qu'a l'air sympa... -T'as du feu?- Moi? Bien sûr que j'ai du feu! Tu parles! Du feu... -Merci- Deux voyageurs arrivent en couple établi tenant son rôle et son statut double, justement y'a des places mais à l'unité... Alors on dit ça va s'arranger, elle derrière moi devant, c'est elle la plus rapide elle vient s'assoir à côté de moi... moi ça me va... je vais pas porter plainte... On cause, c'est nouveau c'est bien, c'est frais, c'est fraiement bien!... On fume tous les deux comme des usines, moi j'ai ma panoplie complète de petit fumeur, c'était l'exception j'ai ravitaillé de même! J'ai des munitions plein les poches... un tabac à rouler et 2 paquets de clopes dont un sans filtre pour la dose maxi en cas de besoin... Le trajet dure 3h3o faut ce qu'il faut!... Juste pour être sûr de pas manquer... Le manque c'est terrible!...

Le manque ça me rappelle en 6ème quand j'allais en colle le samedi souvent matin... J'achetais des tas de bonbecs par cher mais beaucoup du genre à 1 centime juste pour la quantité, ça rassure le nombre, tout de suite ça va mieux... Les clopes c'est pareil mais à l'époque je fais pas gaffe, je me dis bien que j'ai exagéré un peu mais à la guerre comme à la guerre!... '14 la guerre... Celle des Poilus, les tranchées les gaz les baïonnettes, Rosalie, la Grosse Berta, Krupp contre le Creusot-Schneider, moulin à café contre hachoir électrique, Deutsch Mark contre Franc Français... "Pauvres de nous... C'est dommage d'avoir raté ça!... Y'en aura plus de si belle!"... Tant pis je fumerais tout en souvenir de mes grands-pères! Je vais pas gaspiller la marchandise quand même, ça se fait pas! Faut tout manger! Bien propre bien sage, bien gentil... ou alors je suis saoul... malade je veux dire... J'ai été bien élévé, aussi formica et tradition que n'importe quelle ou quel autre de ma sorte moi-même! Tête bien faite à la laïcité, l'école c'est gratuit et... OBLIGATOIRE!... 1+1=?... JE SAIS PAS!!! ... Fume fume, je cause tu causes je cause tu causes... Causons-nous?... Et plus ça va plus ça va, le train ronronne nous on se raconte notre vie... Qu'est-ce qu'on sait d'autre?...

Et tout d'un coup "Ding-dong Ding-dong Ding-dong!" ça fait dans ma tête ou mon coeur ou les deux ou mon ventre je sais plus... "Branle-bas de combat général! Alerte maximum! Sonnette d'Alarme!" Rouge-Rouge!... Qu'est-ce que c'est?... Un broccoli sur la voie? Déraillerais-je? Aurais-je un élan incontôlé? Contrôle-heure! Non!... J'ai déjà ma Princesse qui m'attend à la maison que même que c'est MA Princesse et toc!... Je lâche lâchement très vite que j'ai une copine à Montélimar et que tchi et que tcha... D'abord le signal d'alarme et le frein de secours!... Ça y est, j'ai mis la barrière, la copine en avant je me protège derrière... Ouf!... l'autre, le deuxième, c'est comme le joker au poker c'est magique, comme l'Excuse au Tarot, ça peut sauver le petit l'excuse... des fois... J'ai sorti le manteau le bonnet l'écharpe devant mon nez... Faudrait pas que je m'enrhume tout de même... Tout va bien... J'ai eu chaud!... Non mais moi c'est pour la vie mon amour! J'ai décidé! Y'en aura pas d'autre! FI-NI! Circulez!... Dong... dong... Le coeur quand même... ça ralenti un peu la conversation on à beau dire... un léger mais tangible froid dans l'euphorie de la rencontre...

J'ai pas les moyens... Ça a déjà pas été facile ma princesse et moi, ça a même été compliqué, terriblement déchirant et questionnant, l'amitié l'amour la fidélité l'honneur la trahison la famille les modèles de vertu la patrie l'infamie... et ma soeur à l'époque je lui parlais, elle me parlait il me semble... A l'époque j'ai pas tout compris de l'époque, j'ai fait comme j'ai pu devant l'incontournable pour en être là aujourd'hui avec mon amour innaccessible enfin accessé!... Vocabulaire de mes deux!... Quelle arnaque!... Enfin voilà, j'ai mon amour je le garde, je l'ai assez réclamé je vais pas faire un caprice d'enfant, je suis grand maintenant... ou je fais comme... les autres! Miroir!... "Suis-je le Prince inaltérable à ma Princesse inoxydable à moi?"... Miroir?... Oui y dit le miroir, tout le monde dit oui... Y me dit pas je suis le plus beau, y me dit je suis beau comme les autres, c'est encore mieux! Comme ça on est pareil! Chic chic chic! Bon alors les histoires j'en veux plus! D'abord j'y comprends rien, ensuite j'y comprends rien et finalement j'y comprends toujours rien et en plus ça me fait peur... Vapeur... -Sourire coincé-... "Elle fait quoi ta copine?"... Ma copine elle bosse etc etc etc... Ça reprend un peu, mais léger, comme une distance, un voile... On avait tellement bien discuté jusqu'à cet instant de plus de distance justement, de rencontre de tellement autre-chose que mon quotidien...

Enfoiré de quotidien! Je l'avais pourtant largué ce connard! Il a fallu que je le rattrappe moi-même... Partir tout seul j'ai pas pu, il me fallait ma princesse ou son absolution avant ma croisade baladine vers de lointains rivages... J'ai eu ma princesse -rivage- J'ai fermé ma gueule grande avec un mouchoir de priseux grand aussi, comme Papa!... Et j'ai cherché du travail quotidien pour le pain noir et la forme, j'ai mis le costume bien propre... J'ai essayé, j'ai repris les chantiers puis manar à l'usine pour cotiser... J'ai quand même pas pu l'usine, c'était trop, les usinés avec... "Camarades!"... Euh... Vous êtes sûrs?... Moi pas... Moi je serais bien reparti à l'aventure, tagada tagada, mais ma princesse a pas voulu, elle avait peur, elle avait sûrement raison... en fait le plus déconnant des deux c'est pas moi mais je suis largement à égalité!... chacun sa charge... -La Balle au centre- Rencontre amicale entre deux sièges Sncf...

Je me raconte tout ça en regardant les non vaches, dehors y fait soleil encore... Je fume je fume, j'ai toujours beaucoup fumé, depuis 14 ans je fume, deux paquets en moyenne... Ma voisine fume aussi, les mêmes que moi... C'est un signe!... Maud elle s'appelle, c'est pas son vrai prénom mais elle préfère, y'a pas longtemps qu'elle a changé... Moi Maud ça me fait penser à ma nuit chez... J'ai pas vu mais mon frère le moins grand des deux, celui de tout-à-l'heure, m'avait parlé d'une Maud et de sa nuit... Léger fantasme... Mystérieux Maud comme prénom... Y'a pas longtemps j'ai vu Harold et Maud mais elle est trop jeune, elle a mon âge en gros, la trentaine débutante... elle est psychoragna dans les écoles, conseillère pour les gosses à problème, orientation et tout, sauvetage en mer...

Justement moi j'aurais bien voulu avoir quelqu'un comme ça à qui parler en 4ème mais y'avait pas ou j'étais pas assez malade, enfin je me suis désorienté tout seul et j'ai pas causé... sauf des problèmes à mes parents et à moi... normal... Je lui raconte ça, elle dit que ça a changé, qu'on peut faire des choses pour les gosses... C'est bien je dis et j'espère, mais je suis pas convaincu... J'aurais pas le coeur dans la tête je pousserais bien la discution mais là franchement je suis plus préoccupé par moi que par le premier cycle adolescent... Quoique... j'en suis où moi des cycles et de l'adolescence?... Je sais pas, plus ça va moins je sais... Je fais quoi après la baraque?... Autre-chose?... Peut-être voyage vacances, ce qu'on avait convenu avec ma copine, partir, voir ailleurs si on est pareil, un peu plus loin, espérer que le soleil brille ailleurs que dans le ciel... des trucs comme ça... vivre il me semble...

Train train, on arrive à la gare, elle va chez des copains à Ancône, -ah ouais?- je dis -chez un ancien prothésiste- -ah ouais?- je redis, -moi aussi j'ai fait la prothèse- je fais dans les dents... comme c'est amusant!... pfou-pfou... (rire idiot) Je me suis fabriqué un éventail de rires idiots, c'est surprenant et surtout sifflant, voire persifflant, un peu coincé sur les commissures en y repensant, mais à l'époque je pense pas trop j'ai dit déjà... Bon, -On va boire un pot?- -Bah oui- Les copains arrivent, lui je l'ai déjà vu, elle non, on cause on boit et puis salut! -Bah salut!- -Une autre fois ou à Paris-... J'ai quand même l'adresse, on a échangé, ça serait sympa de se revoir... Bah tiens!...

Et voilà, retour au pays, va et viens Paris pour rien!... Si, un peu plus le boxon dans ma tête à cause de cette rencontre, à cause de mon père, de ma soeur, de ma copine, de ma ruine... de moi... C'est un lot, tu prends tout ou tu laisses, moi j'ai rien d'autre alors... je suis pas bégueule... mais je suis pas tranquille, dans un coin de ma tête y'a un truc qu'a fait cric-crac... qu'a bougé, je sais pas quoi mais je devine les complications... J'en ai marre de ces histoires, de ma soeur, de mon père, de ma baraque, de ma copine, de tout, des ces histoires réplicantes à la con, de ces rencontre qui n'en sont pas, de ces pas perdus, de ces coups de marteau dans la tête ou sur les doigts... J'essaye d'écrire tout ça, de poser...

A l'aller j'ai écrit, y'avait longtemps que j'avais pas écrit... deux ans, à part une fois pour ma mère, la mémoire des entrailles que je cherche toujours, j'avais plus écrit depuis... depuis la Grève, un bouquin, j'avais plus écrit depuis ce texte qui finissait par SILENCE! HOPITAL!... J'avais plus écrit et je recommence, c'est pas facile, ça sort pas... Je sais pas ce que j'ai... Si j'en ai marre, mais de quoi?... Pas de tout!? Pas encore!... J'ai déjà passé mon adolescence à en avoir marre de tout, à vouloir rien faire... Cinq ans c'est long, 5 ans à se faire chier, à s'engueuler avec ses parents parce qu'on a pas fait le dernier devoir et qu'on fera pas le prochain parce que justement on a séché le cours... Ça s'enchaîne, ça s'entraîne, on en sort plus, ça devient noir très vite!...

Je vois plus le soleil même si il brille, c'est noir, c'est néons blafards, c'est métros puants mais chauds, c'est des demis à 7h du matin, du rouge le midi, du pastis le soir, c'est retour train de banlieue - bus merdeux - soupe à la grimace et questionnaire inévitable et maternel, c'est 2 paquets de Gauloises sans filtre, c'est alcoolo à 15 ans, chacun ses distinctions! Moi je tenais le zinc face à des mecs de 18-20 barreaux! C'était pas rien! J'étais un petit mec! Petit con barbouillé de désespérance qu'aimait trop le cinéma, qu'avait trop vu de films édifiants la série B, la mouise en noir et blanc et la mort!... Maîtresse obsessionnelle et absolue!... Définitif petit mec, romantique timide et frustré qu'espérait juste un peu d'amour, de caresses, de tendresse en ce monde adulte et bruyant de grossièretés obligeantes... Un peu d'amour une fois au moins, une fois avant... L'amour, la mort, l'alcool, les femmes, les armes, c'est la même angoisse quand on sait rien... Après je saurai, après je verrai... toujours après...

Après c'est beaucoup plus tard, c'est loin après, c'est l'amour à 17 ans... Enfin... la sexualité... et une chance monstrueuse encore! Une fille sympa, une grande, une vraie, une qu'a pas deviné que j'étais puceau! Une qui m'a pas demandé mon carnet de vaccination ni de capote anglaise, une qui m'a pas coupé les couilles!... Le BOL!... Après c'est n'importe quoi, n'importe comment, après c'est la mort machinale mécanique et armurière jusqu'a ma princesse et mon premier dépôt de bilan!... Suivant!... Après c'est peut-être la liberté, après c'est peut-être le monde!... Après c'est quand j'aurais fini ma baraque, après c'est toujours et jamais après!... Après on sait pas qui c'est après! C'est après après! Après c'est maintenant! Et merde!

Et moi j'arrive pas à parler à ma copine, elle a vu qu'il y avait quelque chose c'est sûr... Mais quoi?! C'est tout mélangé, qu'est-ce que je peux dire?... Je peux dire ça va pas mais ça y est j'ai peur, la trouille qui me déferle en pleine poire!... Peur? Peur de quoi? Peur de parler? Parler de quoi? De moi?... Peur?... Oui! Peur d'oser dire merde à tout le monde, de prendre mon sac, ma guitare et de tout laisser... Peur de perdre mon confort même inconfortable... Peur de pas finir ma baraque parceque si je finis pas ma baraque eh bah et bah... Quoi?... Eh bah j'ai été assez con et obstiné pour la finir cette baraque, j'ai failli y crever dans cette baraque! Ça devenait mon tombeau cette baraque! Alors quand mon bonasse de Gérard d'ami et de voisin est venu me dire négligemment un matin qu'il avait rêvé que je tombais de l'échafaud... J'ai jeté sans un mot la truelle que j'avais à la main dans la gamatte encore à moitié pleine, je suis descendu doucement de cet échafaudage sommaire et vacillant... et je me suis roulé une clope!... Fini pas fini FINI!

Mais là c'est beaucoup plus tard... je veux toujours aller trop vite... Tout doux... Là c'est octobre et ma résolution... dedans ça bouge... J'ai passé l'été sur mon chantier, ça a avancé, ça fait un moment déjà que ça va plus avec ma copine ni avec grand monde... En fait j'ai l'obsession du caillou, je veux finir ma maison-mon-cul... C'est elle ou moi!... Avec tout le confort, double vitrage isolation chauffage au gaz hotte aspirante chiotte avec vue imprenable sur les collines et placard à balais... j'ai rien oublié?... Je peux plus penser, j'arrive pas, je cherche ce qu'il y a de cassé dedans... je trouve pas, j'écris je travaille je bois je fume, je regarde même la télé abruti devant un film débile avec Bébel en vieux beau séculaire séducteur et tous les plis... Beauf!... Je deviens beauf au gros rouge à la clope au pétard à tout! A la bouffe à tout à n'importe quoi!...

J'ai les nerfs, j'augmente la dose, je veux finir, je m'accroche, je veux pas craquer, je sens les autres... Si je finis pas je les entends déjà les autres si je finis pas... -Parano- ... C'est l'examen de passage, le certificat de conformité, si je finis j'ai le diplôme, j'ai toujours eu mes diplômes! Si je finis j'aurais les congratulations de la confrérie des gratuleurs frérants et ce sentiment d'appartenance!... Le groupe!... Tout ça pour moi, forte tête mais brave et adroit avec ça... J'aurai bien travaillé et le travail hein?... le travail... c'est tout le travail! Ça justifie tout le travail! C'est nécessaire-alimentaire le travail, c'est SACRE!... le travail!... C'est du boulot le travail!... Pétain!...

Moi ça m'use le travail, à chaque bétonnière ça m'use le dedans, le dehors, ça ronge l'esprit, ça bouffe les mains, à chaque pelle, à chaque sceau, à chaque coup de truelle, chaque coup de taloche, ça m'use le corps... Ça me fatigue le travail!... Mais je suis grand et fort et beau et c'est moi qu'ai choisi alors je finis mon travail, à la couche de peinture, au bouton de porte joli, pas plus... Je peux plus... Et je le fais savoir bien fort bien haut bien clair! C'est fini! J'ai fini! Je vous invite! Fin de chantier. Achèvement des travaux. Première tranche, demi-crémaillère j'ai qu'un demi-mouton, pour la pendaison complète vous repasserez... Plus tard...

IMPECCABLE! Le mouton, rien à dire... ma soeur est pas venue, elle a dû entendre autre chose, on se parle pas mieux, mon père est toujours malade mais c'est plus tumeur, c'est cancer... Ma copine a préparé un apéro traître genre blanc rhum limonade citron... Bien frais... Moi j'ai chaud, ça fait trois heures qu'on cuit le mouton avec mon copain l'émigré de Malaval qu'a mal à sa verne, et qu'on cause, qu'on arrose, qu'on fourbit, qu'on T-R-A-V-A-I-L-L-E!...

Le monde arrive, j'accueille, je suis content, faut dire y fait beau de ce matin seulement mais c'est le principal, je voulais me raser, me changer mais j'ai pas eu le temps, je suis un peu ripou mais seigneur quend même!... Je trinque avec tout le monde, de dieu! Y'en a du monde! Une bonne trentaine, je les vois tous, je vois personne, on mange on boit, y mangent, je bois, j'en laisse aux autres correct... "Santé! - A la tienne! - A ta maison! - A la tienne! - A la mienne! - Santé! - A nos amours!"... Ça c'est Freddy! Ça fait un an que je le connais Freddy, je l'aime et y m'aime et on se le dit, et on s'aime et on boit à nos amours, on se moque de la bêtise du monde et de l'étroitesse d'esprit, on célèbre le coeur et le reste et ce tangage... Ce flux, ce reflux, ces tempêtes, ces havres, ces abandons de radeaux et de méduses médusées, ces vagues, ces houles.... Et nous simples voyageurs, marins marinnant dans le jus...

Le jus, le café... Ouais café... Café... J'en fous la moitié par terre et je me brûle un peu la main avec... Je commence à tituber sec... Fatigue... -"Une chanson, une chanson"- Ça finit toujours en chanson comme dans les films... "Charly une chanson"... C'est moi ça?... Ils veulent que je chante en plus?... mais... ils m'ont pas regardé... une chanson... On a bu on a mangé on a bu, je bois... Vous ça va?... Une chanson... "Tiens!"... Une guitare! Dans les bras!... J'en fais quoi hein?! "cling cloung Klonc!"... Pas la peine... "Allez André, joue un coup, si si, joue"... Je vous laisse... CAISSE!...

Je me suis relevé à 3h du mat, la gueule farineuse mais bon... normal... Absence, plus persone... si, ma copine fidèle au poste, elle est restée, elle a sûrement envie... Moi j'ai un goût de cendres dans la bouche... cette bouffe, ce monde... C'était quoi la pièce? Demi-pendaison ou dépendaison?... Fin de Chantier! C'est ça, fin de chantier! Fin de règlementation, représentation unique, Guignol a fait son show, il a rassemblé tout son petit monde, il a fait de grands sourires, de belles courbettes et bonsoir! Parti bonne heure sans dire merci le grossier!... Guignol c'est moi, je me sens guignol... marionnette quoi! Mari-honnête... aussi irréprochable que ma morale m'autorise, pas de trahison, pas de couchaison, j'ai pas trompé ma copine, j'ai résisté, vade retro églises absolvant la merde!

Je n'abuse que moi! Je ne trompe que moi! Juste moi tout seul, comme un grand, comme un homme! La belle image!... Et son miroir de lâcheté que j'ose pas affronter... Je me trompe, déjà j'avais de grandes oreilles, si en plus je me laisse pousser le nez... Enfin je me suis bien tenu, l'ivresse est pardonnable, j'ai reçu le monde, la morale est sauve et j'ai mal au coeur... Envie de vomir peut-être?... Non, plutôt envie de dégueuler, d'ailleurs je dégueule, non pas là, dans ma tête... J'ai les boyaux du crâne en mêlées hirsutes et rétrospectives... en vrac, comme le vin... Ça doit être le vin blanc... Ça arrange, ça excuse le vin blanc, c'est traître le vin blanc... C'est trafiqué le vin blanc, et mélangé en plus...! Bon, maintenant je fais quoi? Je fume un clop, je bouffe un coup, j'ai faim, j'avais quand même tout éjecté du midi... Allez! Remplissage du vide avec les restes... C'est bien les restes, y'a toujours un reste, c'est chiant les restes!...

"RESTE!"... Ça sonne dans ma tête, d'ou ça vient?... De loin sûrement un vieux film encore en noir et blanc, triste à pleurer sans doute... "RESTE!" Déchirure sur l'écran, c'est une vieille copie, un vieux mélo rassi "Tu sais bien que c'est toi que j'aime!"... C'est le dialogue ça, moi je suis dans un vieux fauteuil en cuir dans une demie pénombre, comme au ciné, je vois pas mais je devine, je me cache... C'est mon père qui téléphone... qu'est-ce que je fais là moi? J'ai rien à foutre là moi! Je suis pas là moi!...

Bah si, je suis là... J'ai voulu faire la surprise, le retour de l'enfant prodigue, j'ai rien dit, j'ai pas bougé du fauteuil, mon père est passé sans me voir, c'était marrant... C'est plus drôle! C'est la scène du 4, grande déclaration pathétique, cinémathèque tragique, incommunication téléphonique... Nique-nique... Le premier rôle c'est mon Papa à moi! Le deuxième c'est pas ma Maman à moi!... J'ai l'air de quoi avec ça dans les oreilles?... C'est encore une erreur, un rêve c'est, du cinéma c'est!...

Je fais celui qui dort, je fais celui qu'a rien entendu... Je fais celui qui se réveille d'un bon sommeil... Ouf! Bonne imitation! En face y'a le père qui respire... déjà qu'il est pas fort côté bronches... On s'embrasse, on va boire un coup pour arroser ça! Allez! "A la tienne mon grand!" - "A la tienne mon Pop!"... "Et ta maison?" Qu'y me dit, il aime bien sa maison mon père, "Ça avance ta maison?"...

Retour présent fin du flash back black... C'est 4h du mat, c'est beaucoup trop tard, en fait pas encore mais c'est tout comme dans ma tête, c'est l'amalgame et ce silence, mon silence complice par dessus et ma copine à l'étage... C'est plus possible, faut arrêter je me dis... Je vais lui dire, je vais leur dire... Je dirai à ma copine pour commencer, on se séparera, jusqu'a la déchirure, l'écorchure, l'écorniflure, la merdure! Bien sûr!... Jusqu'au verre d'eau réflexe image en surimpression qui fait déborder l'oeil et la baffe dans la gueule, autre réflexe, pas doux pas doux... "Merci petit Papa Noël!"... Je veux pas recommencer...

J'essaye... J'irai voir la Maud du train aussi, je lui dirai mon coeur dong-dong, elle répondra que j'exagère, qu'elle en est pas là, que ça lui fait peur, moi je dirai que c'est pas grave, que c'était pour me débarasser, de fait ça va déjà mieux, ça fait six mois, moi je voulais pas garder ça encore refroidi à l'intérieur, alors peut-être je fais le forcing pour sortir ce que j'ai à dire mais y'a que moi qui vois! "Garez vos miches!"... Le mouton s'enrage!... dedans bien sûr!...

Je retourne chez moi, en ma case neuve ardéchoise et je déballe ce que j'ai... des grigris surtout... beaucoup de petites merdes... Je fais du feu, je brûle aussi... Je partitionne la musique, j'essaye de trouver un truc pour me sortir de là... Ça colle un peu aux pattes ici... Je vois ma copine de temps en temps, on essaye d'effacer le sordide séparatif, d'être intelligents... J'ébauche un peu de ménage... je fais le tri des vieux courriers, des vieilles cartes postales... des vieilles idées... La neige tombe, laisse... Je profite de cette marée blanche et haute pour repartir... J'ai appelé ma soeur qui vient me chercher en bas...

Là où j'habite c'est impraticable sauf à pied, ça monte sec... Je pars dans la pâleur hivernale comme dans un film, superbes plans fondus en noir et blanc encore, mon sac en bandoulière ma guitare à la main, mon couteau dans la poche, mes pieds bottés et le chapeau sur le chef... Je descends, doucement, faut pas tomber... Je dois me tailler une piste, y'a bien 80cms de neige!... On entend juste le bruit étouffé de la neige qui s'écrase dans le silence et quelques corbeaux discrets... Un autre monde!... J'arrive au Flachier, je m'arrête chez les copains broc, je guette ma soeur à la fenêtre, elle arrive, je repends mon barda et quitte les lieux...

Je vais rejoindre la ville et le train, je vais tenir la grappe à mon père, sourire à ma mère, ça va durer une trentaine, on parlera pas, on se dira rien, comme déjà, comme jamais, comme toujours!... Jusqu'au bout Loulou! C'est février, un dimanche matin entre le 13 et le 28, entre ses deux femmes, ses légitimes je veux dire ma mère et ma soeur, qu'y crève mon père dans Sa maison avec Son silence dans Sa gueule!... Sa femme et son fils dernier à son côté qui fumera sa dernière cigarette à lui, il en profite pour arrêter de fumer le malin! (je)... Et tout se fera dans l'ordre digne et la tradition, le cimetière et le gorgeon, l'honneur est sauf, le capitaine est mort à bord... Hommage lui est rendu...

Y m'ont fait le coup de l'enterrement... je me suis senti obligé j'étais le derniers des Mohicans... les autres aux abonnés absents... J'y suis allé avec le chalutier, histoire de pas tout leur laisser... aux nécrophiles venus de je ne sais quelle revue journalistique de niveau intercommunal et bienséant... Les chiens écrasés... On bouffe comme on peut... un petit reste?... J'y peux rien, c'est comme ça, j'écris, je parle, je hisse le silence à la lumière faiblarde des mots même un peu nauséeux... Le coeur se soulève bien un peu de temps en temps... Ça tortille fort les intestins aussi, oui... Je vomis pas, c'est juste les restes... Les restes il en reste, vous en reprendrez bien un peu?...

Des restes j'en ai plein la tête des restes... des magiques, des tragiques, des comiques, des tragi-comix, tout le catalogue! Toutes ces histoires à raconter!... Je vous dis pas le travail!... Un jour, si j'ai plus rien à faire... d'autre qu'à aimer... enfin je veux dire... Je sais pas...

J'inventerai de nouvelles histoires, des histoires différentes... Je veux dire des histoires je vous aime, des histoires je t'aime... Des histoires vraies aussi, sans silence, et puis avec de vrais silences... Des histoires sans histoire, avec le temps, et puis aussi sans... Sans forcer, mais non sans force, dans le calme, et puis peut-être aussi dans l'exhaltation... Dans la tourmente et le repos... Dans la paix, l'heure...

Vous avez l'heure?... Oui, c'est fin de chantier... Juste fin de chantier, rien de plus, rien de moins... Y'a pas de retard, y'a pas... C'est rien...

FIN DE CHANTIER...

 

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