Venise!
C'est là que l'amour m'a rencontré. Peut-être bien même sur la place saint Marc, c'est possible, va savoir. Moi j'ai pas vraiment fait gaffe. Beaucoup plus tard... C'était juillet, il faisait chaud, plein de touristes et de pigeons partout, dans tous les sens du terme, romain vas t'en dire... Conte moi l'histoire, trouvère baladin de l'amour naissant à Venise, ville 'ternelle avant l'engloutissement et le nauséabond des canaux. L'amour, y demande rien! T'es d'accord, t'es pas, c'est pareil! Y s'en fout! Y fait son affaire, t'as qu'à suivre si tu peux, profites en...
Moi Venise en juillet, je me suis dit jamais, je reviendrai en mai. On était une bande, on se fendait pas franchement la gueule... J'essayais pourtant à coup de rots et pets pas foireux de détendre l'air comprimé, mais va, que dalle! C'est peut-être ça en fait qui enfanta le sentiment, un regard qui plonge et rencontre l'autre, qui lui dit 'on est trop con', et l'autre qui se dit un truc comme... 'Je l'aime! Il est trop beau faut pas que je le rate!'...
Venise toujours, arnaque au prochain quai, soupirs au prochain pont... Faut y aller pour voir, pour croire, pour le plaisir... Et voilà! Touriste comme tout, y voit rien y loupe tout! Remarque, il aurait vu ce con (moi), il se serait pris ses jambes à son cou et on l'aurait jamais revu le lâche! Parce que l'amour c'est pas forcément fleur-bleue et tout!... C'est l'angoisse qui débarque sans prévenir... l'amitié trahie (patrie?) sans coup férir, la femme désacrée de son autel, la mère pas plus claire, l'enfance castrée par précaution, le père protecteur (qui sait bien de quoi?), les chiens errants et la morale au cul!... "Seuls les cons volent en justes noces"...
Lui il aurait bien voulu (on note le passé), bien sage, bien propre, bien tenu, bien vote, mais l'angoisse quand même! Or donc rien vu, rien pris, je m'imaginais le futur présent bien confiant en lui-même, moi pas vraiment, mais Bast! Sans la frime, hein!? On est quoi?... Donc Venise, voyage, détente (ou annoncé tel), préliminaires à de futures associations (t'as qu'à voir!), toutes plus juteuses les unes que les autres si j'ose dire, je!
Venise, une journée ça suffit quand on a rien à y faire et que tout le monde vous emmerde. Donc via le nord, Brescia, la montagne, mes affaires et le train pas loin... Je me tire! 'Rendez-vous à Paris'... moi j'ai ma caisse! ... J'avais déjà un amour là-bas faut dire, du genre "Marinette la belle la traîtresse était déjà partie"... Heureusement j'avais pas de fleurs, sans ça... Je me voyais déjà en vacances sur les routes marocaines avec la belle de jour du pays... Bon, je remets tout dans ma roulotte avec un zeste de déception et d'aigreur résiduelle et j'attends la rentrée...
Quoi faire?... Petit bonhomme bricole ci bricole là, envisage, pèse, repèse, re repèse, glandouille un max, pas pressé du tout, trois sous d'avance, alors tu parles!... Les copains de Venise rappliquent, relancent, insistent, la jouent aux sentiments... 'Bon d'accord, mais pas plus de trois ans, formel! Pas d'histoires, sérieux moi1 Je veux bien mais pas plus, c'est bien pour vous faire plaisir, c'est plus mon truc ce boulot... Moi je veux faire de la micro fusion, joli non?... Tout et rien ça veut dire, juste un procédé de fonte, cire perdue, tu fais ce que tu veux avec... Si tu peux... En tous cas ça fait chic, ça intrigue, ça valorise... On te prend pour un qu'est pas aussi bête que t'en as l'air... Plus ou moins... En tous cas moins inconfortable que pète-à-feu... C'est pas toujours très bien vu de nos jours, c'est même souvent suspect! Ça légifère sec en ce moment dans ce domaine, et moi, en ce qui concerne les lois de la suspicion, j'ai déjà largement mes doutes en ce monde!...
J'ai envie d'autre chose, mais je sais pas quoi... Quelque chose de différent quoi!... Moi je suis pas juste un 'pétaf' comme les autres, je suis du côté des graveurs, des artistes, je sculpte moi!... Ou alors je fignole, je cherche le détail qui nous hissera à la hauteur de notre enseigne; "Ateliers St-Urbin Armes Fines", eh oui, le 'pétaf' c'est ça! Dans les armes, à feu de préférence, armurier quoi... Justement ça m'intéresse plus, j'ai déjà ma dose... C'est pour ça que j'étais pas chaud, mais ils me croyaient pas les autres!... Alors je joujoutte le petit chef d'entreprise (c'est pas moi mais je fais comme, on est tous associés), je vais voir les clients, la douane pour l'Italie forcément, la banque, je touche aussi un peu à la compta, tout ça bien sûr avec la femme de mon pote, normal!...
Entre-deux, je bosse à l'étau, carabines de grande chasse, prestige pas cher (t'as qu'à croire, on se paie à l'élastique!), et délais courts pour la trésorerie! Le chien à sa platine pour Monsieur très 16ème qui voudrait avoir l'air, comme nous, tout pour la frime!... et la micro fusion?... Que dalle! Et en plus ça aurait pu marcher tout ça, fallait avoir envie... Moi j'avais plus. Non je cherchais autre chose, l'amitié, l'amour, la chaleur, la tendresse, enfin quelque chose qui vaille la peine qu'on se casse le cul six jours et demi sur sept pour des prunes!... La Gloire!... J'avais déjà ma médaille et mes distinctions, les félicitations du jury, les coupures de presse et ma tête de con!... Non, il me fallait autre chose...
Caprice?... Peut-être, mais on était tous là pour l'amitié ou le vouloir de, pour pas de patron, pour le plaisir d'être ensemble, d'être pas trop cons... Ça devenait dur... Alors les histoires à droite, les histoires à gauche, d'habitude j'arrangeai, j'aime bien qu'on s'aime bien, un peu d'huile à droite, un peu de beurre à gauche, la burette et la plaquette, toujours prêt à rendre service... Mais là non!... On voyait tous que ça partait en eau de boudin notre histoire, mais personne y mettait du sien, moi non plus... C'était plus drôle, ça devenait du systématique, du symptomatique et même du pathétique!... Y'avait que Jeannot-lapin, un copain client (les pires!), pour diplomatiser et foutre sa merde... Et ça a marché!...
C'était un samedi après-midi, on essayait d'envisager avec le sourire la mouise à venir autour d'un Paris-brest et d'un café, luxe de l'établissement, et puis voilà, ça éclate pour rien... Une histoire de vin, de rien!... Ça éclate comme en juillet!... Fait chaud, fait lourd, comme à Venise, un an déjà... C'est chargé, faut que ça pète... Ça pète, très fort. C'est la femme du copain et votre narrateur, accrochage, ras le bol... "Vous me faites tous chier avec vos histoires, j'en plein le cul, je me tire!"... Dix mois de cohabitation, c'était trop, tant pis pour les trois ans! Marre!
Jeannot l'innommable arrive et seigneur offre la réconciliation, les côtes de boeuf et le bricheton, et bien sûr le pinard! Obligatoire! (Merci Michel). Bon, on négocie sec, pas facile... Farouches ils sont les deux, trésors de diplomatie by Jeannot l'ineffable... On se regarde en dessous, de biais, de côté... Silence... Assentiment final mutuel... "Bon, on fait ça où?"... Renégociations, le lieu, le temps, le mode, l'emploi et le fonctionnement... Ça roule!... Moi je prépare l'apéro, Gin-fizz pour dix en l'honneur de la femme de mon pote! Tout à la main, on est artisan ou pas!... Faut goûter pour savoir, le gin, le sucre, le citron, la glace, tout ça... Quand ça finit par être prêt, je te dis pas, j'ai le moral au beau fixe et l'estomac dans les talons!
On mange, bien rouge, bien saignant, fait chaud!... On boit, du bourgogne bien sûr! Bien rouge, bien... Fatigue... Je sors de table cahin-caha et m'écroule dans les chiottes non sans avoir fermé le verrou!... T'imagines!... Au bout d'un temps y'en a quand même un ou deux qui s'inquiètent, moi pas... Pourparlers devant la porte des gogues obstinément close et discrète, elle, moi pas! Je me rends pas comme ça moi! Faut argumenter dur, parce que moi, hein! Font tous chier! Je veux crever tout seul! Tranquille! Merde!... Bon, je finis par sortir, mon pote (l'autre) m'aide à m'allonger quelque part sur un plumard. Ça casse un peu la soirée, j'ai dû mettre le paquet, m'en fous, je ronfle...
Et voilà que dans mon éthylisme comateux j'entends des voix, enfin une voix, j'entends double. C'est la femme de mon pote qui me demande pourquoi je me mets dans ces états là... Moi grand seigneur, je réponds pas... La paix je veux!... Merde!... Elle insiste, elle m'appelle, me fait trembler les oreilles, les neurones, me murmure des noms inconnus, me secoue la carcasse, le cerveau et le reste!... et tout ça avec deux syllabes!...
Je rêve! C'est pas possible! On peut pas me dire ça!... C'est mon nom secret que j'ignore mais que je dois reconnaître le moment venu!... C'est le nom secret qui ne peut être prononcé que par 'ma' Princesse Charmante à moi et par aucune autre! C'est elle que j'espère trouver à chaque fois... la Promise! l'Inaccessible!... Pas la femme de mon pote! Y'a erreur! J'ai des principes moi!... "Je rêve, c'est impossible!"... Je me dresse, "Tu peux pas me dire ça!" je dis éperdu... Elle: "si", elle dit que oui... moi je dis non, elle si... Vous pouvez pas imaginer, peut-être que si, moi je peux pas raconter, c'est trop fort, trop tout!... On s'embrasse à peine... 0n n'ose pas... On n'y croit pas...
Tout s'enchaîne, un autre copain se tire un peu fait rejoindre sa dulcinée sur les routes, c'est la soeur de ma Princesse qui dit qu'elle le suit, elle a rendez-vous le lendemain, alors de toutes façons... Moi, dessoûlé d'un coup et ne comprenant plus rien sinon que tout se barre très vite, je dis "Je la suis au cas où"... Tout le monde acquiesce, ceux qu'on vu, ceux qui sentent, ceux qui savent plus, ceux qui serrent les fesses, ceux qui restent... Pour nous c'est le convoi, chacun dans sa tire, chacun dans sa tête, ou ce qu'il en reste, à se suivre en automates, le coeur par dessus tête... On roule, on sait pas où mais on ira... A la folie, l'amour, la haine, le désespoir, l'angoisse, le manque... Des tas de conneries plus humaines les unes que les autres... Braver les interdits, en créer de nouveaux, la trouille aux fesses, l'espoir au cul, le bonheur au ventre, et la peur d'en jouir, de jouir, de rire, de vivre... l'instant...
Venise...
J'y retournerais bien, un jour, en mai...